Littératures d'Asie
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GwennaëlGaffric
GwennaëlGaffric
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Atelier de traduction Liu Cixin 刘慈欣 Empty Atelier de traduction Liu Cixin 刘慈欣

Lun 13 Avr - 14:20
Atelier de traduction chinois-français
刘慈欣,〈人生〉


Je vous propose un extrait (celui en rouge sur le document) d’une courte nouvelle de Liu Cixin (lien téléchargeable ci-dessous) à traduire et à partager.
Le délai pour poster votre traduction ci-dessous est le 24 avril. N’hésitez pas à indiquer à la suite de votre message les éventuelles difficultés rencontrées ou les stratégies de traduction que vous avez choisi d’adopter.

Je proposerai ensuite ma version.

Télécharger 刘慈欣,〈人生〉
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EmilyDRBLD
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Atelier de traduction Liu Cixin 刘慈欣 Empty Re: Atelier de traduction Liu Cixin 刘慈欣

Mer 22 Avr - 16:15
Traduction d’un extrait de la nouvelle « Existence » Liu Cixin, 2003


Docteur Ying : « Je comprends désormais pourquoi l’évolution a désactivé la transmission de mémoire des êtres humains de génération en génération : pour les humains – dont l’esprit est de plus en plus sensible – l’ignorance est à leur arrivée dans ce monde comme une chaumière chaleureuse qui les protège. Nous avons maintenant privé votre enfant de cette chaumière et l’avons jeté dans le désert de votre esprit. »
Fœtus : « Ma tante, à quoi sert cette lanière sur mon ventre ? »
Docteur Ying : « Il me semble que tu l’as déjà demandé à ta maman. C’est le cordon ombilical, avant que tu ne viennes au monde, c’est lui qui te nourrit et te fournit en oxygène. Mon enfant, c’est ta ligne de vie. »

Deux ans plus tard, un matin de printemps.

Le Docteur Ying et la jeune mère, son enfant dans les bras, se tiennent debout dans le cimetière.
« Docteur, avez-vous trouvé cette chose ? »
« Vous voulez dire… Cette chose qui, autre que la mémoire, fait d’une personne ce qu’elle est ? » Se demanda le Docteur Ying.
Le soleil levant se refléta sur les pierres tombales les entourant, faisant briller d’une douce lumière orangée ces innombrables vies humaines déjà poussiéreuses.
« Amour… d’où viens-tu ? Du cerveau ou bien du cœur ? »
« Que dites-vous ? » la jeune mère regarda le Docteur, troublée.
« Ah… Rien… Ce ne sont que deux vers d’un poème de Shakespeare. »  En parlant, le Docteur Ying prit le bébé des bras de sa jeune mère.
Ce bébé n’est pas celui dont la transmission de mémoire avait été activé. La mère du bébé avait plus tard décidé de fonder une famille avec un travailleur expérimental de l’Institut de Recherche, ce bébé-ci, né normalement, est le leur.
Le fœtus ayant hérité de toute la mémoire de sa mère, avait, à minuit du soir de la conversation, silencieusement rompu son cordon ombilical. Lorsque le médecin de garde l’avait découvert, sa vie qui n’avait pas encore commencé était déjà terminée. Après cela, les gens furent étonnés qu’une telle force puisse se trouver dans de si petites mains. A présent, c’est devant la petite tombe du plus petit suicidé de l’histoire que se tiennent les deux femmes.
Le docteur Ying, d’un œil scientifique, regarde le bébé dans ses bras, mais ce n’est pas ainsi que voit l’enfant, occupé à tendre ses délicates petites main pour attraper les chatons de saule flottant dans la brume matinale, la surprise et la joie jaillissant de ses petits yeux noirs. Dans ses yeux, le monde est comme une fleur en train d’éclore, un magnifique jouet géant. Il n’est pas préparé face à la longue et imprévisible route qu’est la vie, il est alors prêt à tout.
Les deux femmes longent le petit chemin entre les pierres tombales, la jeune mère reprend son enfant des bras du Docteur et s’exclame avec enthousiasme :
« Trésor, nous prenons la route ! »


Mes remarques et explications :


Avant de traduire l’extrait sélectionné, j’ai d’abord lu une première fois la nouvelle en entier. J’ai rapidement traduit les passages que je ne comprenais pas puis ai relu la nouvelle une seconde fois. J’ai trouvé ce texte plutôt simple à lire, sauf bien sur les termes très scientifiques dont la traduction me faisait défaut. Je dois d’ailleurs avouer que je n’ai toujours pas bien compris certaines explications du Docteur, mais je pense que cela est en grande partie dû à mon manque de connaissances scientifiques plutôt qu’à des lacunes langagières. J’ai trouvé la nouvelle intéressante et originale et ai pris beaucoup de plaisir à la traduire.

Toutefois, j’ai bien évidemment rencontré quelques difficultés. La première difficulté étant celle de savoir comment traduire 博士 et 阿姨. Devrais-je traduire le premier par Docteur ou Doctoresse, et devais-je garder la notion de « Tante » pour le second ? Pour le premier, j’ai finalement décidé de garder « Docteur » plutôt que « Doctoresse » puisque j’avais – à tort ou à raison – le sentiment que le second renverrait plutôt au terme de 女医生. Pour ce qui est de 阿姨, bien qu’il ne soit pas courant en France d’appeler d’autres femmes que nos propres tantes « tante », j’ai pensé que « ma tante » ne devrait pas choquer ni interpeller un lectorat français puisque ce terme fut longtemps utilisé de cette façon dans la littérature française (sans parler des personnes qui, comme l'est ma famille, sont issues de l'immigration notamment d'Italie ou du Maghreb et pour qui cette coutume existe toujours également). Aussi, j’aime l’idée que cela puisse rappeler à un lectorat qui connaîtrait bien l’Asie, cette coutume qu’ont les chinois, taïwanais ou encore les coréens d’appeler respectueusement les femmes plus âgées « ma tante » et les hommes plus âgés, « mon oncle ».

Une autre difficulté rencontrée, j’ai parfois eu du mal à ne pas faire de trop longues phrases, notamment lors de la traduction de la toute première phrase du Docteur Ying et lors de la traduction ce passage « 莹博士用研究的眼光看着怀中的婴儿 […] 因而准备好了一切。 ». C’est d’ailleurs ce passage que j’ai le plus eu de mal à traduire, notamment en ne sachant pas vraiment ce que l’auteur entendait par « 但孩子却不是那种眼光 ». J’ai hésité entre deux idées différentes, la première selon laquelle nous ne pouvons pas regarder les enfants d’un œil scientifique, la seconde selon laquelle l’enfant ne regarde pas le monde avec un regard scientifique / de chercheur, son ignorance et son insouciance sous-entendue. J’ai finalement opté pour la deuxième option, qui me semblait bien en adéquation avec la suite du paragraphe. Pour ce paragraphe, ainsi que pour d'autres passages du texte, j'ai parfois du mal à savoir ce que les adjectifs qualifient, comme par exemple avec la première phrase « 对于在精神上日益敏感的人类 » que j'ai traduit par « les êtres humains - dont l'esprit est de plus en plus sensible » je ne sais pas si ce que l'auteur voulait dire n'était pas plutôt « les êtres humains, de plus en plus sensible d'esprit ». J'ai de nouveau rencontré ce problème en traduisant le passage sur le soleil et sa lumière orangée qui se reflète sur les tombes et fait briller ce que j'ai traduit par « les vies humaines déjà poussiéreuses ».

Enfin, la plus grande difficulté est celle que je rencontre à chaque fois, c’est-à-dire celle de rester fidèle aux mots et aux idées de l’auteur tout en devant retravailler les phrases afin qu’elles soient à la fois compréhensibles et agréables à lire.

Emily Darblade.
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Tiphaine lenoble
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Atelier de traduction Liu Cixin 刘慈欣 Empty Proposition de traduction

Mer 22 Avr - 19:31
L’existence

Liu Cixin

Docteur Ying : « Je comprends maintenant pourquoi l’évolution a éteint l’hérédité des souvenirs de l’espèce humaine : Pour les humains qui ont l’esprit qui devient de plus en plus sensible, l’ignorance est comme un logis protecteur et accueillant, lors de leurs premières arrivées dans ce monde. Aujourd’hui, nous privons ton enfant de ce cocon, le laissant tomber dans un désert spirituel. »
Fœtus : « Tantine, ce cordon sur mon estomac, ça sert à quoi ? »
Docteur Ying : « Il semblerait que tu aies déjà demandé à ta maman. C’est un cordon ombilical, avant ta naissance il t’apporte des nutriments et de l’oxygène, petit, c’est ton fil de vie. »
Deux ans plus tard, dans une matinée de printemps.
Docteur Ying et cette fameuse jeune mère se trouvaient au cimetière public, la mère tenait son enfant dans ses bras.
« Docteur Ying, avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ? »
« Vous parlez de ces souvenirs externes au cerveau qui font que l’homme devient son propre ego ? » interrogea le docteur Ying dans une sorte de monologue.
Le lever du soleil éclairait la nuée de tombes qui les environnaient, faisant scintiller d’un doux rayon mandarine ces innombrables existences déjà poussiéreuses.
« O amour d’où viens-tu ? est-ce de notre esprit ou de notre cœur ? »
« Que dites-vous ? » demanda la jeune mère regardant le docteur Ying, confuse.
« Ah, ce n’est rien, seulement quelques vers de Shakespeare », expliqua docteur Ying prenant le nouveau-né des bras de sa mère.
Cet enfant n’est pas celui qui a été stimulé pour ses souvenirs hérédités, la mère de cet enfant avait auparavant formé une famille avec un laborantin de l’institut de recherche, voilà l’enfant qu’ils avaient mis au monde de manière traditionnelle.
Ce fœtus qui possédait tous les souvenirs de sa mère, lors de cette nuit paisible à discuter, avait tirer sur son propre cordon ombilical, le brisant. Lorsque le médecin de service le découvrit, cette vie, pas encore commencé s’était déjà terminé. Après cet évènement, les gens furent tous surpris de la force si grande de ces deux petites mains. Aujourd’hui, deux femmes se tiennent debout devant la minuscule tombe du plus petit suicidaire de l’histoire.
Le docteur Ying, regarda le nouveau-né avec son regard de chercheuse, mais l’enfant n’avait pas ses yeux là, il était occupé à tendre ses délicates petites mains afin d’attraper les chatons de saule flottant dans le brouillard matinal, de ses petits yeux ébènes jaillissaient de la joie et de la surprise. Dans son regard, le monde était une fleur en train d’éclore, un grand et merveilleux jouet. Face à ce chemin de la vie, interminable et énigmatique, il n’était absolument pas préparé, ce qui le rendait plutôt disposé.
Les deux femmes marchaient en suivant le petit chemin séparant les pierres tombales, la jeune mère reprit l’enfant des bras de docteur Ying et s’exclama :
« Bébé, mettons-nous en route ! »

Remarques :
J’ai eu beaucoup de mal à traduire la phrase de la ligne 2 commençant par 对于, à la rendre claire et pas trop longue en français, et à la mettre dans le meilleur ordre possible pour qu’elle soit fluide.
J’ai également eu des difficultés à bien faire la distinction entre les deux enfants lors de la traduction de la phrase où se situe l’explication du fait que l’enfant dans les bras de la femme n’est pas l’enfant qui dialogue au début avec le docteur et la mère.
Aussi les couleurs étant toujours un problème en chinois, j’ai finalement décidé de traduire 黑亮 par ébène car je trouvais que « noir » n’avait pas cette idée de lumineux.
J’ai également hésité quant au temps à utiliser, j’ai souvent choisi l’imparfait qui sert de description.
Enfin en ce qui concerne le niveau de langue, j’ai essayé de donner un niveau assez enfantin lorsque le fœtus parle et de même lorsque le docteur lui répond mais cela était un peu compliqué dans la mesure où même en chinois le docteur emploi des termes que l’enfant ne connaît peut-être pas comme cordon ombilicale, nutriments et oxygène, après on ne peut pas exclure que l’enfant, ayant les souvenirs de sa mère possède également son niveau de langue.
En tout cas, j’ai vraiment aimé traduire ce texte, l’histoire est très étrange et intéressante. Merci pour le partage.
Tiphaine Lenoble
GwennaëlGaffric
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Ven 24 Avr - 11:55
Traduction de Marie-Laure Monfort


Liu Cixin
La vie, extrait p. 6


Docteure Ying : — J’ai maintenant compris pourquoi l’évolution avait empêché pour l’espèce humaine la transmission héréditaire de la mémoire : les humains ont de jour en jour davantage de vigueur, mais à leur arrivée au monde, ils ne savent pas s’il existe une petite chambre chaude qui les protège. Nous en avons privé ton enfant, nous l’avons jeté dans la steppe.
Foetus : — Tatie, qu’est-ce que c’est que cette ceinture sur mon ventre ?
DY : — Je crois que tu as déjà posé cette question à ta maman. C’est le cordon ombilical, il te fournit ta nourriture et ton oxygène, mon enfant, c’est le fil qui te relie à la vie avant que tu ne naisses.

Deux ans plus tard, par un beau matin de printemps.
Docteure Ying et la jeune mère sont debout dans un cimetière, la mère serre un enfant dans ses bras.
« Docteure, vous avez trouvé ce truc ?
— Vous voulez dire ce truc qui fait qu’un homme devient lui-même en l’absence de mémoire innée dans le cerveau ? » Docteure Ying se posait la question à elle-même.
Le soleil de l’aube brillait sur le troupeau des stèles alentour, faisant scintiller ces vies innombrables déjà recouvertes de poussière et qui renvoyaient un doux éclat jaune.
« Amour, d’où viens-tu ? Du cerveau ou du coeur ?
— Que dites-vous ? » La jeune mère regardait Docteure Ying d’un air troublé.
— Non, rien. Ce ne sont que deux vers de Shashi Bia. » En disant ces mots, Docteure Ying prit dans ses bras l’enfant que la jeune mère tenait enlacé. Ce n’était pas celui dont la mémoire héréditaire avait été activée. Par la suite la mère de cet enfant et un laborantin de l’institut de recherche avaient fondé une famille, et c’était là l’enfant auquel ils avaient donné le jour.
Le foetus qui possédait toute la mémoire de sa mère avait alors discuté tranquillement durant tout le jour jusqu’à minuit, il avait coupé lui-même son cordon ombilical, et quand le médecin de service l’avait découvert, sa vie n’avait pas encore commencé qu’elle était déjà finie. Après cela les gens s’étonnèrent, car on se demandait d’où lui était venue une telle force dans ses petites mains. À présent les deux femmes se trouvaient devant la minuscule tombe de ce tout petit suicidé, l’enfant à naître dont il fut question au commencement de cette histoire.
Docteure Ying portait son regard de chercheuse sur l’enfant qui avait été dans les bras de sa mère, mais celui-ci restait indemne de ce regard, car il était occupé à tendre sa gracieuse menotte pour tenter d’attraper le duvet de saule qui flottait dans le brouillard du matin. De ses petits yeux noirs et brillants émanaient l’étonnement et la joie, et dans ces yeux il y avait tout un monde de fleurs sur le point de s’épanouir, il y avait un grand jeu splendide. Pour la longue et insondable route de la vie qui s’étendait devant lui il n’avait absolument rien de prêt, et il avait donc tout à faire.
Les deux femmes s’en allèrent en longeant les travées entre les stèles, la jeune mère reprit l’enfant du sein de Docteure Ying et s’exclama :
— Docteure Ying, nous sommes en route !
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Ven 24 Avr - 12:03
20200424 Liu Cixin par Marie-Antoinette

Dr Ying: "Maintenant, j’ai compris pourquoi l'évolution a mis fin à l'héritage de la mémoire de l’espèce humaine : pour les humains qui étaient toujours de plus en plus réceptifs à leur esprit, au début de leur arrivée dans ce monde, l'ignorance a été un refuge douillet afin de les protéger. Maintenant, nous avons privé ton enfant de ce petit refuge et jeté cette friche dans son esprit. "
Fœtus: "Madame, à quoi sert ce cordon qui est sur mon ventre ?"
Dr Ying: "Il semble que tu as déjà posé la question à ta mère. C'est le cordon ombilical. Il te fournit les éléments nutritifs et l'oxygène avant que tu naisses, c’est un cordon vital. "

Un matin de printemps deux ans plus tard.
Le Dr Ying et la jeune mère, son enfant dans les bras, sont au cimetière.
"Docteur, avez-vous trouvé cette chose ?"
"Tu veux dire, la chose autre que la mémoire stockée dans le cerveau et qui fait qu’une personne devient elle-même ?" se demande le Dr Ying.
Le soleil levant illumine le groupe de pierres tombales autour d'elles, faisant scintiller de vie d’innombrables poussières dans une douce lumière orangée.
"Et l’amour, d'où vient-il, est-ce de la conscience ou du cœur ? "
"Qu’est-ce que vous dites ?" demande, confuse, la jeune mère, en regardant le Dr Ying.
"Oh, rien, ce ne sont que deux vers de Shakespeare." dit le Dr Ying, prenant le bébé des bras de sa mère.
Ce n'est pas l'enfant dont la mémoire génétique avait été activée ; la mère de cet enfant avait ensuite fondé une famille avec un travailleur du laboratoire de recherche et cet enfant est le leur, né normalement.
Au fœtus, qui avait tous les souvenirs de sa mère, on avait coupé et retiré le cordon ombilical au milieu de cette silencieuse nuit, le jour-même de la conversation, et lorsque le médecin de garde l'avait découvert, sa vie non encore commencée était déjà terminée. Par la suite, les gens avaient été étonnés de voir d’aussi petites mains si puissantes. En ce moment, les deux femmes sont debout devant la petite tombe du plus petit suicidé de tous les temps.
Le Dr Ying regarde le bébé dans ses bras avec des yeux de chercheuse, mais l'enfant n'a pas ce genre de regard. Il est occupé à tendre ses petites mains pour attraper les chatons de saule flottant dans la brume matinale, de son regard noir émane une surprise joyeuse ; dans ses yeux, le monde est une fleur nouvelle en train d’éclore, un gros jouet merveilleux. Sans préjugés sur la longue route de la vie s’ouvrant devant lui, il n’a absolument rien de préparé et donc il est prêt à tout.
Les deux femmes marchent sur le petit chemin entre les pierres tombales, la jeune mère reprend l'enfant des bras du Dr Ying et lui dit avec enthousiasme:
"Allez Bébé, on y va !"
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Ven 24 Avr - 14:22
Traduction de Gwennaël Gaffric

Dr. Ying : Je comprends à présent pourquoi l’évolution a verrouillé chez les humains l’héritage mémoriel. À mesure que nos esprits se faisaient plus fragiles, l’ignorance qui était nôtre au moment de la naissance est devenue un refuge. C’est maintenant comme si nous arrachions votre enfant à la chaleur de ce refuge pour le jeter dans l’immensité infernale d’une plaine mentale.
Le fœtus : Tante, à quoi sert ce tuyau relié à mon ventre ?
Dr. Ying : Je crois que tu as déjà posé cette question à ta mère. C’est ton cordon ombilical. Avant ta naissance, c’est lui qui te fournit nutriments et oxygène. C’est ta ligne de vie, mon enfant.

Un matin de printemps, deux ans plus tard.
Le docteur Ying et la jeune mère se tenaient côte à côte au milieu d’un cimetière public. La mère portait son enfant dans les bras.
– Docteur, l’avez-vous trouvé ?
– Vous voulez dire ce qui fait qu’un individu est ce qu’il est, en dehors de sa mémoire ? demanda le docteur Ying, comme si elle parlait pour elle-même.
Les rayons de l’aube éclairaient la forêt de stèles autour d’elles, comme s’ils ranimaient de leur douce lueur orangée ces vies innombrables devenues poussière.
– Dis-moi où siège l’amour : Dans le cœur, ou dans la tête ?
– Que dites-vous ? demanda la jeune mère au docteur, sans trop comprendre.
– Oh, ce n’est rien, deux vers de Shakespeare, répondit le docteur Ying, qui ouvrit ses bras et prit l’enfant.
Ce n’était pas l’enfant à l’héritage mémoriel activé. La mère avait fondé une famille avec un technicien du laboratoire. C’était leur enfant à tous deux.
Le fœtus qui avait porté tous les souvenirs de sa mère avait rompu son cordon ombilical durant la nuit calme qui avait suivi leur conversation. Quand le médecin de garde l'avait découvert, cette vie qui n’avait pas encore commencé s’était achevée. On s’était étonné avec curiosité que de si petites mains eussent pu réunir une telle force pour accomplir cet acte. Les deux femmes se tenaient à présent devant la stèle du plus petit suicidé de l’histoire humaine.
Le docteur Ying étudia avec une attention scientifique l’enfant qu’elle avait pris dans ses bras. Mais le regard de la petite créature était bien différent. L’enfant était trop occupé à essayer d’attraper de ses petites mains les chatons de saule qui papillonnaient dans la brume du matin. Au fond de ses prunelles noires et luisantes, rayonnaient de l’émerveillement et de la joie. Dans ses yeux, le monde était une fleur en train d’éclore, un jouet magnifique. Il partait sur le long et imprévisible chemin de la vie sans n’avoir rien préparé, et il se préparait donc à tout.
Les deux femmes longèrent le sentier qui passait entre les stèles. La jeune mère reprit l’enfant des bras du docteur Ying, puis elle lança, euphorique :
– En route, mon trésor !


Dernière édition par GwennaëlGaffric le Ven 24 Avr - 14:28, édité 1 fois
GwennaëlGaffric
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Ven 24 Avr - 14:28
Quelques retours sur la traduction :

Il était en effet utile de lire la nouvelle dans un premier temps, pour en comprendre les enjeux narratifs (qui sont ces deux enfants, différents ? quel ton adopter pour chaque personnage, etc.) Heureusement, elle n’était pas trop longue, ni trop complexe ! (merci 老师 !)

« 记忆遗传 »
L’un des enjeux du texte (et de la science-fiction en général) est la traduction de la terminologie scientifique, moins celle déjà existante que celle « inventée » par l’auteur, en particulier le terme 记忆遗传, qui n’a pas vraiment d’équivalent déjà existant.
Traductions proposées : transmission de mémoire, hérédité des souvenirs, transmission héréditaire de la mémoire, l'héritage de la mémoire, héritage mémoriel

« 对于在精神上日益敏感的人类,当他们初到这个世界上时,无知是一间保护他们的温暖的小屋。现在,我们剥夺了你的孩子的这间小屋,把他扔到精神的旷野上了。 »
Le passage est un peu complexe, car un peu long et jouant sur des sphères différentes. L’utilisation de 精神 en particulier est un petit défi.
Plusieurs traductions proposées pour小屋 (qui doit renvoyer à une petite cabane pleine de chaleur) : chaumière, logis, chambre, refuge
Je pense qu’avec une expression comme 精神的旷野 peut donner lieu à une certaine liberté de traduction, car une traduction littérale serait maladroite.

博士
Plusieurs traductions possibles : docteur, docteure, doctoresse.
Cela mériterait une discussion longue, et il n’y a pas de réel consensus sur la question… Les trois sont acceptables, à condition d’être cohérents dans tout le texte. Mais « Doctoresse Ying » toutes les trois lignes peut être un peu lourd. Malheureusement, la féminisation de certaines professions n’est pas encore bien entrée dans les esprits.

阿姨
On peut traduire par « Tante » ou équivalent pour garder l’aspect culturel ; on peut éventuellement traduire par « Madame » : on perd en culturel, mais on surprend moins le lecteur non familier de la littérature chinoise.

生命线
Plusieurs traductions différentes : fil de vie, ligne de vie, fil qui te relie à la vie, cordon vital…

L’expression 那无数已经尘封的人生 n’a pas été très bien comprise. Ici l’idée est que ces êtres innombrables déjà morts (d’où la poussière) semblent reprendre vie

爱情啊你来自何方,是脑海还是心房
Un des problèmes fréquents en traduction : les citations. Pas facile de retrouver l’originale.
Voici celle-ci pour Shakespeare (en anglais) : Tell me where is fancy bred, or in the heart, or in the head? (Le Marchand de Venise)
que Victor Hugo a traduit par « Dis-moi où siège l’amour : Dans le cœur, ou dans la tête ? »
On peut éventuellement trouver une autre traduction, mais c’est plus risqué

莹博士用研究的眼光看着怀中的婴儿,但孩子却不是那种眼光
Je pense que ce n’est pas tant le sens qui a fait défaut, que la manière de tourner la phrase. Il s’agit bien d’un contraste entre les deux manières de voir le monde. On pouvait couper la phrase avec un point.

从黑亮的小眼睛
Difficile de traduire 黑亮 avec un seul adjectif. Il n’est pas rare en chinois que l’on trouve un qualificatif bisyllabiques avec deux sens en un. En français, on peut soit n’en garder qu’un, soit traduire avec deux adjectifs.

对前面漫长而莫测的人生之路,他毫无准备,因而准备好了一切。
Ici, il était important de rendre en français cette opposition毫无准备/准备好一切
« rien préparé »/ « préparé à tout » par exemple

“宝贝儿,咱们上路了!”
Vous l’aurez compris, ici, il faut rendre l’idée que le chemin ne fait que commencer.
宝贝儿 doit être une expression ici différente d’autres termes utilisés plus haut, comme 孩子 ou 娃娃
Il partait sur le chemin long et imprévisible de la vie sans n’avoir rien préparé, et il se préparait donc à tout.
– En route, mon trésor !

N’hésitez pas à réagir !

Sachez enfin que vous pourrez retrouver la nouvelle intégrale traduite en anglais ici; et traduite en français, dans quelques mois dans l’intégrale des nouvelles de Liu Cixin, chez Actes Sud (traduite par moi).
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Sam 25 Avr - 22:51
Marie-Antoinette m'a interrogé sur les moyens de trouver la "bonne citation" de Shakespeare en français.
Je réponds de façon plus générale, et pour tout le monde :

1) On peut bien sûr demander à l'auteur du texte original (s'il est vivant, et si vous avez son contact) : mais imaginez-vous vingt étudiants écrire à l'auteur ? L'idéal, même quand on est le seul traducteur, est d'éviter de demander à l'auteur des questions pour lesquelles il n'est pas impossible de trouver la réponse.
D'autant que - je vous parle d'expérience vécue - l'auteur n'est plus toujours sûr de l'origine de la citation ou bien il l'a lui-même réécrite, de mémoire (cette nouvelle a par exemple paru en 2003, je ne suis pas sûr que l'auteur se rappelle précisément dans quel livre il est allé la chercher...).

Donc :

2) L'option souvent la plus efficace est de faire une recherche sur le Net en ajoutant des guillemets au début et à la fin de l'expression concernée pour être sûr de retrouver la même occurence.
Soit a) le résultat nous indique de quel texte elle provient (ex : tel poème de Shakespeare, tel vers), il n'est pas si compliqué de retrouver la version anglaise, puis française, à plus forte raison pour des textes probablement libres de droit et qui disposent sans doute de nombreuses versions en ligne.
b) le résultat en chinois ne donne rien, et il faut tenter de chercher par mots-clefs, ce qui peut être long (avec "amour" et "tête", par exemple) dans les traductions françaises. C'est encore plus compliqué pour Shakespeare qui n'écrit pas vraiment en anglais moderne.
3) Essayer de consulter les forums de discussion chinois où l'on échange sur les œuvres de l'auteur (il y en a pas mal concernant Liu Cixin, mais ce n'est pas toujours le cas) et voir si quelqu'un s'est déjà posé la question
4) Interroger un spécialiste de Shakespeare pour voir si la phrase lui dit quelque chose
5) Tenter soi-même une traduction. Cela passe pour une phrase courte comme cela, mais c'est plus risqué pour des passages longs

Une question se pose ensuite, car il existe de nombreuses traductions en français de Shakespeare : laquelle sélectionner ? Il vaut mieux prendre celle que l'on estime la plus cohérente avec le texte, ou par défaut, la plus connue. Sachez que les traductions en chinois et en français peuvent être différentes (ce n'est pas le cas ici, mais pensez à la traduction de la Bible !)
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